mardi 10 juin 2008

Délicieux quatre mains (4)...

Cette Dame – comment la nommer autrement ? – joue à ravir. Mais elle présente quelques transparences. Comment peut-on dire «j’ai besoin d’être conquise, je vous veux conquérant» ? Ce «je … veux» trahit tant la conquérante. Et ce départ si lumineux !

Je suis non pas la proie mais la conquête. Je dois parvenir à procéder autrement qu’elle. Pour ce plaisir du jeu qu’elle m’offre. Pour ce plaisir de jouer qu’elle me demande. Désirer est plus grand qu’avoir obtenu. On se sent vivre, alors que lorsque le but est atteint, on peut presque dire que l’on a vécu. Comme dans l’amour : le vrai plaisir réside dans les caresses, la découverte des vibrations du corps de l’autre et l’harmonie que l’on parvient miraculeusement à obtenir en découvrant ses propres vibrations à l’unisson. Le vrai plaisir atteint son apogée en même temps qu’il commence à disparaître ; et lorsque l’on s’en aperçoit il a commencé à décliner. Enfin, pour un homme ; peut-être pas pour une femme.

Voilà ce qui me donne l’expérience du bonheur s’installant : l’ouverture et non la clôture dans l’obtention soudaine, trop hâtive, d’une relation amoureuse dans laquelle les corps se trouvent tôt, Trop tôt pour avoir eu le temps de se deviner, de se désirer, de jouir de l’absence. Il n’y en aura peut-être jamais.

Je la regarde partir. Etonné ? Non. Heureux. Pas de son départ, mais du commencement qu’il inaugure.

Je me rappelle. Eva. Je l’avais connue en allant chez le dentiste. J’attendais, en feuilletant un magazine people. Elle entre, s’installe, joue avec son portable, passe deux ou trois appels. Le dentiste apparaît et m’appelle. Je prends le temps de reposer ma lecture… elle est allée jusqu’à lui, en lui assurant qu’elle doit lui montrer la dernière nouveauté des laboratoires Machin… Une visiteuse médicale. Je vais pour protester, le dentiste me demande de patienter : «cinq minutes, pas plus». Je reprends ma place.

Une demi-heure plus tard, elle ressort, le sourire dans la voix. Se réinstalle dans la salle d’attente. Je la regarde avec colère, elle m’ignore, le dentiste m’appelle. Après les soins (une simple radio, je crois), je sors. Elle est devant l’ascenseur. J’hésite à le prendre, il arrive ; j’y vais. Elle profite de la promiscuité pour m’adresser un : "je suis désolée pour votre attente". Je la coupe : «Cela m’étonnerait, vous avez vendu votre quincaillerie ou vos poisons, vous allez toucher une com, alors le retard qu’il faut que j’accepte, cela vous est complètement égal !».

L’ascenseur ouvre sa porte. Nous sommes arrivés. Elle se précipite, moi aussi. Nous nous bousculons. Elle perd l’équilibre, je la rattrape mécaniquement. Elle en profite : «N’essayez pas de jouer le gentleman, mais merci quand même… » et elle éclate de rire. Je lui présente mes excuses. Sans comprendre pourquoi je commence à lui parler de son boulot, on marche, un café est là, on entre, on discute deux heures. Et elle part. Elle avait laissé sa carte. Je l’ai appelée deux jours plus tard. Nous nous sommes vus jusqu’à ce qu’elle s’installe en Provence. Depuis plus de nouvelles. Mais des souvenirs de plaisirs partagés. Sans enjeu autre que le plaisir de se voir, et, au bout d’un mois, de s’aimer.

Mais j’y pense : je ne sais pas comment la contacter… Il me faudra l’appeler à son travail. Mais elle sera redevenue Cerbère. La rattraper ? Elle a déjà disparu. Encore un beau souvenir ?

Je rentrai chez moi. Cette rencontre que j’avais voulue mais qui s’était déroulée de manière si inattendue roulait dans mon esprit. Je ne pus que reconnaître ma maladresse et le charme de cette femme. Si j’avais été, non pas intelligent mais sensible, nous passerions une soirée certainement très agréable. Au lieu de cela, me voilà de retour dans un confort commun, routinier. Inutile. Rassurant, mais inutile.

Je cuisinai des œufs brouillés, une salade composée (tomates, pommes, céleri branche, comté, batavia, raisin). De l’eau. En faisant la petite vaisselle qui en résultait, j’eus l’idée de lui écrire. Pourquoi pas ? Il était exclut que je laisse cette rencontre sans lendemain possible. Le téléphone, je ne me sentais pas capable de savoir me situer à chaque instant ; je ne suis ni stratège ni tacticien. L’écrit a ma préférence. Mais que lui dire ?

« Madame,
Votre main prenant la mienne a marqué d’une douceur que je ne soupçonnais pas lorsque vous nous avez emmené dans cette brasserie. J’étais trop surpris du plaisir que j’éprouvais tout en me le cachant. Vous avouer que votre charme a opéré serait trop banal pour que vous prêtiez attention à ce que je vous confie. Alors je n’insisterai pas, même si je vous l’aurai dit, ou plutôt écrit. Reconnaître que vous êtes présente dans ma nuit vous paraîtra tellement creux que vous n’y prêterez pas attention ; je vous en informe cependant.

Ces quelques mots vous présentent mes remerciements pour le trouble que vous avez suscité dans la vie d’un homme un peu emporté, désormais heureux de ce qui ne sera qu’une parenthèse, si vous n’acceptez pas de le retrouver une semaine après la première rencontre, à la même heure, sur le même banc. Vous accepterez alors de me suivre. Sans m’interroger. Vous aurez pris un jour de congé. Nous prendrons le train. Rien de ce qui se passera n’aura lieu contre votre volonté. Vous le découvrirez.

Dans l’attente de cette rencontre, veuillez croire, Madame, à l’expression de mon émotion dont vous êtes la cause et l’objet. »

Elle reçut une lettre à son nom, pas une publicité, l’adresse était manuscrite. Elle ne recevait que très peu de courrier, non parce qu’elle ne communiquait avec personne, mais parce que ses modes d’échanges étaient plus rapides, plus instantanés, plus technologiques, fugaces. Elle avait perdu l’habitude des lettres tracées à la main, des lettres qui ne ressemblaient à aucune autre lettre, du cousu main. Elle fréquentait le monde du « prêt-à-porter », « prêt à aimer » aussi, ou ce serait plus juste du « prêt à consommer ».

Imaginer que quelqu’un ait pu prendre le temps d’écrire, de tracer avec un stylo des lettres pour traduire un ressenti, une envie peut être même, à son attention, en pensant donc un minimum à elle, l’émouvait, la touchait, la surprenait.

Elle s’étonna de se voir humer l’enveloppe, pensant reconnaître l’effluve d’une « conquête » récente. Elle jouait, elle prenait le temps de savourer l’avant, l’avant qui lui donnait l’occasion inattendue de se pencher sur ses véritables attentes.

Ensuite, elle retourna l’enveloppe, persuadée que rien n’y était inscrit, juste pour prolonger encore ces instants de doutes qui lui faisaient battre un cœur qui ne savait plus qu’il battait. Rien, aucun nom, aucune adresse.

Elle se raisonnait. Finalement, ce ne pouvait être qu’une de ces invitations à des soldes privées, dans un magasin où elle n’avait mis les pieds qu’une fois, elle avait payé par chèque et depuis faisait partie intégrante du listing sans fin des clients ultra privilégiés.

Elle ne voulut pas déchirer de ses doigts l’étui de papier qui lui permettait encore de rêver à un contenu inattendu, mais secrètement espéré.

Elle se saisit de ce coupe-papier en ébène dont elle aimait tant le contact, un bois vivant, doux, robuste, vibrant.

Elle se résolut à faire cesser cette parenthèse d’évasion gratuite, presque jouissive, qu’elle s’était accordée.

Et, là, elle lut...

Et, là, dans sa nuit à elle, elle sentit qu’il était là aussi.

Elle ne le remerciera pas pour le trouble qu’il a suscité, elle ne lui dira jamais.

Mais elle fut persuadée à cet instant qu’elle serait au rendez-vous.

Elle aimait la façon dont il se « dépassait ». Elle aimait qu’il ait osé lui demander de le suivre, sans l’interroger. Elle aimait l’idée de partir avec lui sans savoir ni où, ni vers quoi il l’emmenait. Elle avait confiance en lui naturellement, mais sa phrase « rien de ce qui se passera n’aura lieu contre votre volonté » la rassurait et aussi l’excitait, elle le ressentait dans son corps à chaque relecture. Comme si elle s’abandonnait à lui, volontairement, en toute sincérité, en toute quiétude, mais aussi pleine de curiosité, de pétillements, d’impatience, de désirs même, finit-elle par s’avouer.

Cet homme la surprenait, elle en était embellie, elle avait une soif intense de vie, elle le rejoindrait, le suivrait, lui obéirait pour leur plus grand plaisir à tous les deux. Elle le pressentait au plus profond de son âme.

3 commentaires:

Rom a dit…

Bon*o*r Kat
Je t'avoue être trop épuisé pour lire votre "4 mains" et le commenter.
Mais je l'ai suffisamment parcouru pour en apprécier l'écriture et te promettre de revenir.
Bonne nuit, je t'embrasse

Kat Imini a dit…

B"ns"ir Rom, heureuse de te relire ici, merci de ton passage, j'espère que ton épuisement n'est que passager et je prends ta promesse de revenir comme un cadeau, bonne nuit à toi, je t'embrasse.

Rom a dit…

". Désirer est plus grand qu’avoir obtenu. On se sent vivre, alors que lorsque le but est atteint, on peut presque dire que l’on a vécu."
Triste conception, malheureusement partagée par pas mal de gens.
Pourquoi, dans ce cas, penser avoir "obtenu" ?
Pourquoi parler de "but" (quel vilain mot) atteint?
La réussite d"une relation durable réside justement, amha, dans la pensée que rien n'est acquis ou obtenu, jamais...
Il faut entretenir le désir, recommencer chaque matin comme si la veille n'existait pas ou presque.
Pour y arriver, il faut autant d'imagination que d'amour