lundi 9 juin 2008

Délicieux quatre mains (3)...

Je ne savais pas où j’en étais. Quel enchaînement de situations improbables… Comme tout ce qui arrive de plus intéressant dans la vie. Plus que ce que je rencontre jour après jour, à peu d’exceptions près. Il y en a eu cependant : des flirts d’adolescent, Marie qui m’a révélé qu’aimer n’était pas souffrir, mais qui a vite disparu, et m’a fait souffrir, et Eli qui a enchanté ma vie. Mais tout ceci paraît loin. Je prends sa main, à nouveau. Elle la laisse. Je l’embrasse mais pas comme tout à l’heure, en la regardant dans les yeux, avec un léger sourire. Qu’elle me rend. Je caresse sa joue. Elle me laisse faire.

"Je me sens un peu idiot, ici, dans la rue. Comme en représentation alors qu’il n’y a pour nous que nous… je sais c’est un peu maladroit comme expression. Elle énonce cependant ce que j’éprouve à l’instant. Ne pourrions-nous pas aller au moins dans un café ?".

"Accepteriez-vous de me suivre ?", me répond-elle. Sa main dans la mienne me guide.

"Les soirs sont beaux à cette période de l’année. Encore chauds, mais avec une pointe de fraîcheur sous les arbres. J’aime en profiter pour rêver à ce que je ne suis pas, à ce qui me manque, avec mélancolie parfois, mais aussi pour me délasser des contraintes de la répétition. Vous m’offrez l’occasion de rompre avec cela et de jouir mieux de ce moment qui est parfois délicieux" .

Je ne la croyais pas capable d’une telle confidence qui ne paraît pas feinte, calculée. Comme si elle avait retiré ses bas devant moi pour que l’air caresse sa peau, ce qu’elle s’interdit au travail. Serait-elle sensuelle ? Elle interdit de simplement l’imaginer et soudain elle vous offre ce présent. Je m’autorise à lui serrer légèrement la main. Elle me répond en la pressant trois fois avec délicatesse.

Puis elle s’arrête. "Je vous laisse le choix entre la Brasserie de la Paix, parfois un peu bruyante, mais avec quelques tables isolées et chez moi, juste en face, au quatrième".

J’hésite à peine. "Au risque de vous surprendre, je choisis la Brasserie. Le temps de se connaître un peu mieux, de comprendre ce qui se passe, de décider de manière un peu assumée s’il y a lieu de poursuivre ou de différer, ou même de se séparer simplement, sans arrière-pensée. La possibilité de faire du temps un véritable allié. Je ne vous déçois pas, au moins ?".

"Le contraire m’aurait déçu. Je veux dire si vous n’aviez pas choisi, ou si vous aviez trop hésité. Votre choix, clair, est le mien puisque je l’avais sollicité".

Nous entrons dans la Brasserie. Le serveur, sûr et un peu obséquieux, nous guide vers un box. "Madame et Monsieur pourrons discuter sans être gêné par le bruit ou le voisinage".

Je la débarrasse de sa veste. Elle porte un corsage léger avec de fines bretelles. Les épaules gracieuses. Mes lèvres se retiennent de se poser sur elles, juste pour humer son parfum et éprouver la délicatesse de cette peau.

"Allons, asseyez-vous. Mon épaule ne mérite pas votre attention".

Je rougis d’avoir été découvert. "Lisez-vous dans l’esprit des hommes ? Profitez-vous ainsi de votre don pour utiliser leurs faiblesses à votre bénéfice ?".

Elle rit. "Je n’ai aucun don, je vous voyais dans le miroir qui me fait face".

Je suis décidément bête, ou bien elle me rend bête. A croire que je désire qu’elle lise en moi à livre ouvert, qu’elle prenne sans cesse l’initiative, et qu’elle fasse de cette soirée commençante la première marche vers un moment de tendresse et de plaisir. Ne t’emballe pas Charles. Elle t’a séduit. Aie au moins l’intelligence de faire de même à son égard. Et tu verras ensuite si elle t’accorde ses faveurs, ou si tu rentreras après un moment sympa, mais finalement frustrant. Accepte de désirer, et cherche à faire naître le désir. Si tu y parviens tu auras au moins vécu des minutes intenses, même si c’est en face à face dans une brasserie.

Le garçon nous rejoint. "Avez-vous choisi ?".

"Deux verres de votre Jurançon, bien frais, s’il vous plaît. Cela vous convient, n’est-ce pas ? » J’acquiesce. « Avec un peu de votre terrine de lièvre". Il s’éloigne.

"Je connais le lieu ; vous ne serez pas déçu" me dit-elle en souriant. Je me rends compte alors qu’un pied parcourt ma jambe, se pose sur ma cuisse. En attente. Ma main droite glisse vers la cheville offerte. Pour la caresser. Puis, la reprenant, j’y dépose un baiser qui ira trouver sa demeure sur ce pied.

"Madame, votre délicatesse et votre franchise me vont droit à l’âme. Je ne m’étais pas trompé, vous êtes une conquérante. Et je ne suis pas loin de rendre les armes, avec bonheur".

"Sourire, nous retournons à nos premiers mots, je suis une conquérante pour Vous, vous n’êtes pas loin de rendre les armes.

Et bien, je vais vous laisser, disparaître, m’absenter.

Je repense au moment où je vous ai vu, dans le miroir, me regarder les épaules avec gourmandise et la discrétion qui vous caractérise.

Je voudrais, j’aimerais, si vous le souhaitez aussi bien sûr, jouer avec Vous justement au jeu des miroirs.

Je pense, je me trompe peut être, que nous avons tous tendance à révéler au monde une de nos "apparences " qui n’est souvent là que pour "masquer" nos désirs inavoués.

Je vous vois (vous vous montrez) tout à la fois rebelle et soumis, raisonnable et fou, enfermé conscient et ouvert volontaire. Ambiguïté, contraste, complémentarité, complexité, complétude. La note dominante que je perçois chez vous me laisse à penser que vous aimeriez que je vous emporte dans mon monde, que je vous séduise, que je vous tende une cheville que vous auriez plaisir à embrasser.

La note dominante que vous percevez chez moi vous laisse à penser que je vais le faire.

Je pense, moi, que nous avons besoin de ce fameux miroir, qui nous amène quand nous tentons des gestes, à ne plus savoir si nous sommes droitier ou gaucher.

Inversés, l’envers du décor, le négatif de l’apparence, négatif dans le sens photographique, révélateur...

Je pense, (le "je" n’ayant rien de péremptoire, ni de prétentieux ; le "jeu" me semblant édifiant), que nous pourrions pour une fois, "la nôtre", prendre le temps de nous montrer, nous découvrir, vraiment.

J’ai la sensation que je suis, en réalité, moins conquérante que vous. Je me défends, me protège avec cette image. Au même titre, que vous n’avez aucun besoin d’attendre que je vous impose, même avec envie, quoi que ce soit.

J’ai besoin d’être conquise, je vous veux conquérant.
J’ai besoin d’être soumise, libre de l’être, je vous veux maître de vous même.

Je vous laisse à vos pensées, à ce que vous savez "être", oserez-vous me rappeler, l’avenir nous le dira… ".

Elle se leva et partit si rapidement qu’aucun argument n’était à cet instant opposable.

Il resta, assis, pensif… Mais de quel droit le bousculait-elle ainsi ?...

7 commentaires:

Anonyme a dit…

A relire ce que nous avons écrit, j'éprouve un vrai plaisir, je vois une complicité heureuse que rien ne préparait, et qui s'incarne avec intelligence. J'éprouve le désir de retrouver cela. Vous savez susciter de belles choses, Catherine. Je n'en doutais pas ; j'en ai définitivement la preuve.
En passant

Kat Imini a dit…

C'est beau de constater, que le bonheur de partager, ne serait-ce que des mots, peut encore donner du bonheur, le grain de sable qui accolé à l'autre grain de sable, crée le désert, ce désert qui est si plein, si beau, si complet de son vide... Merci à vous, vraiment.

Anonyme a dit…

Voilà un exercice que j'ai tenté il y a bien longtemps et qui a échoué lamentablement, probablement dù à un mauvais équilibre chimique, par contre quelle belle réussite entre ces quatre mains aux doigts agiles. Bravissimo!

Kat Imini a dit…

Merci Empreinte pour le compliment sur les quatre mains agiles. Je le partage avec "En passant". C'est vraiment une aventure des mots partagés.

Julie Kertesz - me - moi - jk a dit…

je suis plus ambigue en lisant cela: si elle n'aurait pas voulu qu'il vienne chez elle, pourquoi elle aurait lance l'invitation?

en tout cas ces coquetteries sont si eloignes de mon caractere! je n'arrive pas m'y sentir meme comme lectrice a cause de cela

des deux cotes d'ailleurs

Kat Imini a dit…

Julie nous avons tous nos ressentis, nos réactions, nos caractères, je peux comprendre que tu ne te retrouves pas dans ce texte, même comme lectrice. Tout l'intérêt de la diversité humaine, des goûts et des couleurs. Bonne soirée.

Rom a dit…

Cette troisième partie m'éloigne un peu plus du possible, du probable, sans que j'arrive à déterminer si cela me parait plus séduisant.
En fait, j'éprouve un curieux sentiment de malaise (ce qui n'est pas incompatible avec le fait d'être sous le charme)