dimanche 8 juin 2008

Délicieux quatre mains (2)

Tu as aimé ma révolte ?, me suis-je dit en écho, étonné, soufflé, abasourdi. Mais qui est-elle ? Elle me demande si j’aimerais sa reddition … Que lui ai-je demandé ? Est-ce que dans les maisons d’édition, on est habitué à transformer aussi facilement les relations professionnelles (celle avec la clientèle, par exemple) en relations personnelles, privées ? En plus, je ne l’ai même pas draguée. Et d’ailleurs je suis assez minable dans cet art assez subtil, mais qui paraît parfois d’une telle grossièreté qu’on a l’impression qu’une main au cul suffit.

Je ne sais pas combien de temps ce monologue intérieur a duré. Elle me regardait avec un léger sourire dans les yeux. Que disait-il, ce sourire ? Était-ce une avance grossière pour un divertissement ponctuel, une sorte de sas de décompression après une journée éprouvante – un peu comme un bain, où l’on délivre le corps de ses tensions par un abandon dans une eau qui vous porte, vous entoure, à des caresses que l’on s’accorde, en signe de réconciliation avec soi - ? Était-ce une sorte de coup de foudre ? Etait-ce le fruit d’une émotion plus complexe, le désir de jouer de l’inconnu, de l’instant, de tenter le plaisir de la rencontre, sans penser à demain, sans l’exclure, pour voir ?

«Écoutez, je ne comprends pas bien ce qui se passe. Vous vous en rendez certainement compte... Je ne vois aucune reddition dans votre discours… Vous êtes une conquérante, et vous savez que la ruse peut remplacer l’attaque frontale. Pensez au Cheval de Troie. Vous me troublez… ».

Je me tus, tant j’avais conscience d’avoir perdu la main, et perdu pied ! Me laisser emporter par la proposition à demi-mot de Madame Z – d’ailleurs comment se prénomme-t-elle ?- serait apparemment simple, mais …

Elle pose sa main sur la mienne, je la prends sans même m’en rendre compte, ému qu’elle ait abandonné le registre du discours pour celui, plus subtil, du toucher, de l’émotion à partager.

Sans bien m’en rendre compte, sans projet, comme avec naturel, je porte cette main à mes lèvres, les pose à peine, assez pour être conquis par son eau de toilette, un peu cannelle, un peu fraîcheur. La place forte tombe. Je sens que je suis sur le point de lui avouer que je suis célibataire ce week-end. Que mon épouse et mes filles sont chez mes beaux-parents. Que je reste pour finir un travail dont je ne vois pas le bout. Que j’ai envie de vivre un autre amour que celui qui existe avec mon épouse, et qui est réel, mais balisé par une histoire. Que sa franchise me plaît. Que j’aime les femmes. Que je suis prêt à faire sa connaissance, parce qu’elle m’offre une image valorisante de moi-même – qui m’a jamais réellement dragué ? -.

Au lieu de cela, je lui souris. Repose sa main. La remercie de cet instant délicieux, mais trop improbable et bouleversant pour moi.

Je me lève, et pars, conscient de laisser mon âme dans son regard.

Je le vois se lever, partir, et je ne sais pourquoi je l’interpelle : «Attendez. nous nous trompons tous les deux. Vous me pensez conquérante, vous supposez que j’ai besoin de me distraire d’une journée difficile, que je suis sans aucun doute coutumière de ce genre d’arrogance, que je vous drague même ! Moi, je supposais, ce qui m’a sans doute rendue audacieuse, que vous étiez combatif, que vous relèveriez le défi. Tout ceci pour vous dire, que nos masques sont parfois bien trompeurs. Je ne suis pas celle que vous croyez, ou plus encore je ne suis pas celle que je vous ai montrée. Je cherchais en vous le rebelle qui saurait calmer en douceur mes ruades, me rendre à Vous. Et vous partez, vous vous rendez… mais pas à moi. J’aime votre sincérité, votre douceur retrouvée, qui n’est en rien faiblesse, mais réaliste, raisonnable. J’aime le vitrail de votre âme, contrastée, révoltée et pourtant si maîtrisée. Mais… la vie vaut d’être vie, et si Vous Nous donniez une chance ?... ».

Son visage traduit à la fois étonnement, curiosité, peur attirée… Je sais qu’il hésite, qu’il ne sait si je le moque ou si je suis sincère, qu’il craint de déraisonner, de se perdre, d’ouvrir une fenêtre dont l’air pourrait l’étourdir, lui faire pousser des ailes…

«J’aimerais que nous nous accordions le temps de nous connaître, je ne vous promets rien, si ce n’est sincérité, respect, transparence (ce qui pour moi est valeurs). Le voulez-vous ? Écrivons une histoire qui sera nôtre, dévoilons nous pour nous apercevoir, cessons d’appartenir à nos rôles sociaux, professionnels, familiaux, culturels. Révélons nous… Le voulez vous ? Montrez vous à moi, je me montrerai à vous. Prenons le risque de nous voir, de nous partager. Le voulez vous ?» .

Il s’assit à nouveau, je fis comme lui. Côte à côte, unis sans le savoir encore par cet instant de vérité. Osant peut être, l’un et l’autre, affronter sa vie, mais surtout acceptant respectivement de la partager vraiment… Ne serait-ce qu’une minute.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Les masques tombent .. le début d'une histoire. C'est finement interprété et plaisant à lire. J'ai aimé !
Corinne

Anonyme a dit…

Osant peut être, l’un et l’autre, affronter sa vie, mais surtout acceptant respectivement de la partager vraiment… Ne serait-ce qu’une minute.

L'illustre minute qui contient l'éternel?

Julie Kertesz - me - moi - jk a dit…

ah ah, il a oublie vite qu'il etait marie avec enfants "celibataire de week end, ha ha"

mets pas d'espaces (efface-les) entre fin des mots et punctuations: les traitements de textes les mettent mais le web les traite mal, cela fait de travail mais vaut la peine

texte passionant, je reviendrai encore et encore le lire

Kat Imini a dit…

Merci Corinne d'être passée, contene que ce texte t'ait plu. A bientôt chez toi et/ou ici.

Kat Imini a dit…

Empreinte... une minute peut être éternelle, dans le sens où elle va durer tant que le souvenir perdurera, tant que la mémoire sera vaillante, sourire. Merci de ton assiduité en tous cas...

Kat Imini a dit…

Julie, c'est toi qui m'as donné envie de publier la suite de ce texte, encore trois épisodes, reviens... Sourire, je me permets de t'embrasser (pour les espaces, désolée mais je suis un peu typographe dans l'âme, on m'appelle "oeil de lynx" sur les relectures, après et avant un ";" il faut un espace, avant une "," un espace, pas d'espace après... etc.. Tanpis pour les aléas du web, je ne transigerai pas...

Anonyme a dit…

... non pas le souvenir qui perdure - mais un nouveau regard dont mes amis bouddhistes me parlent sans cesse. La mémoire étant toujours un filtre, ils me parlent du regard pur, au delà de l'ego, donc de la déformation. Exagèrent-ils?

Kat Imini a dit…

Sourire Empreinte, non sans doute ont ils raison... La mémoire sert de filtre car elle nous permet de nous distancer, de la même manière que nous voyons souvent plus clair dans les histoires des autres... La mémoire nous permet peut être de devenir un autre nous même... grandi...

Rom a dit…

Belle suite et la question que je me pose est la suivante.
Dans une histoire d'amour, quelle est la part qui nous séduit le plus?
Celle du possible, d'un réel imaginable ou bien celle de l'improbable cantonné uniquement dans l'imaginaire?